mercredi 2 juillet 2008

Un rêve prend forme sur les chemins de Papunya


© Lorraine Nakamarra with the courtesy of Papunya Tula Artist.135 x 60 cm.
Collection privée, Paris.

Cette oeuvre* sent encore bon la peinture fraîche. Il y a quelques semaines la jeune Lorraine Nakamarra la terminait dans le bush près de la communauté de Papunya Tula.

Je l'imagine face à cette toile brute en lin. Un espace vierge. Une simple palette de couleurs. Juste des motifs traditionnels dans sa tête. L'héritage de ses anciens. La grammaire codée et visuelle du côté féminin d'un rêve, pensé, anticipé, occupant son esprit.

Puis dans un élan, tout à coup, à même le sol, l'artiste se lance, le rêve prend forme, se caractérise, clame sa pérennité à la face du monde, dans une nouvelle évocation picturale.

Pour les aborigènes, l'acte de création, d'invention, de ré-interprétation du rêve est important, essentiel, déterminant lors d'une cérémonie. Puis l'objet porteur de cette puissance symbolique s'efface, s'abime dans le temps, disparait.

Un esprit de la pluie garde toute sa force s'il est toujours dôté de couleurs palpitantes. Les couches d'ocres, de pigments se superposent ainsi sur des millénaires dans différentes grottes, comme témoin d'une mémoire du geste, de l'histoire, d'un rite à préserver dans l'harmonie du monde.

Aujourd'hui j'ai oublié le texte explicatif de cette oeuvre. Sésame souvent indispensable aux non inités pour appréhender le sens d'une peinture aborigène. Je la regarde donc sans interprétation aucune, juste pour ce quelle est. Et je dois avouer que je suis séduit par cette composition, cette fine granulométrie de la touche du pinceau, ces cercles finement ourlés, presque hypnotiques.

Ils alternent, grandissent, se répondent en écho de blancs en rouges. Telle une progression dans une quête individuelle, une découverte d'autres facettes, la diversité d'un groupe ou des étapes d'un chemin initiatique.

Cette peinture parle toute seule. Elle invite le regard à devenir créatif. A participer à cette invention. J'y appréhende la matière plastique, brute, posée sur la toile. J'y avance vers ces autres cultures. Demain je lirai le sens caché. Demain je comprendrai le message. Demain la face intelligible de cette oeuvre lui donnera un supplément d'âme. Quelle richesse que l'art aborigène !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"Aujourd'hui j'ai oublié le texte explicatif de cette oeuvre. Sésame souvent indispensable aux non inités pour appréhender le sens d'une peinture aborigène."...tu as raison, je fais ce lent cheminement et mes billets sont encore dans ce sens.
Ce côté occidental dont on a du mal à se dé-prendre : "lire" une oeuvre d'art... (Panofsky au feu.. être iconoclaste pour le coup :-))))
Mais petit à petit, je commence à "lâcher" la peinture sur écorce de la Terre d'Arhnem et à découvrir Papunya... nous sommes dans les années 70... et sur cette oeuvre de Lorraine Nakamarra dont tu sais faire résonner chaque touche, chaque mouvement dans ton commentaire; mon regard ne glisse plus, il s'accroche... je reprends tes billets et je regarde de nouveau. Je découvre un monde.

Bertrand a dit…

Bonjour Lyliana,

Deux regards différents pour découvrir un monde. C'est un peu l'esprit de nos blogs. Merci pour ta visite.
Les peintures sur écorce comme l'indique Kupka sont extraordinaires en ce qu'elles nous rapprochent des premières expressions de l'art. J'y admire les grands artistes comme John Mawurndjul qui y introduisent de fertiles nouveaux terrains d'innovation...

Papunya. Le terreau d'où le mouvement contemporain aborigène a repris dans les années 70. Des oeuvres y sont magnifiques le plus souvent dans les teintes classiques du Bush.

Je suis impatient de découvrir tes billets sur Papunya...

A bientôt,
Bertrand