jeudi 8 novembre 2007

La tradition orale s'évade et se réinvente dans la peinture aborigène

© Cycle Tingari de Kenny Williams Tjampitjinpa, Papunya Tula artist.
© Collection privée Brocard-Estrangin
Nous avons nos livres. Éveilleurs de nos consciences. Carburants de l'intelligence. Mais cercueils en papier de nos mémoires. Comme dans votre agenda, aussitôt marqué, aussitôt oublié. Fossoyeurs du souvenir. Certes il reste bien quelques traces d'un bon livre, quelques bons mots et expressions. Mais l'ensemble est fugace. Notre mémoire s'abîme sur tous ces supports. Pourquoi faudrait-il retenir puisque tout reste écrit ?
Les bibliothèques semblent immenses avec leurs légions d'ouvrages. Sur une vie, l'écrit nous semble donc rassurant, bien suffisant, sans limite, avec le sentiment que c'est la trace ultime que l'on pourrait laisser.

Et pourtant. Combien d'histoires ont disparu... Combien de contemporains ont oublié leurs anciens, leurs origines... Je garde en mémoire l'histoire de nos amis aborigènes d'Australie qui visitaient la grotte de Lascaux. Les fresques les fascinèrent. Elles parlaient à leurs yeux. Ils y voyaient des connections avec leurs mythes. Mais une de leur question fut terrible : "Pourquoi chez vous personne n'est capable d'expliquer ces peintures ?". Nous avions tout oublié. Les liens n'existaient plus. La mémoire avait été tuée.

Cette peinture de l'artiste Kenny Williams Tjampitjinpa reprend un thème ancien. Le cycle Tingari déjà évoqué dans d'autres posts sur le blog. Il est vieux de plusieurs millénaires et enrichi au fil du temps par la force des évènements, de façon à nourrir le rêve, à donner plus de velouté au mythe, comme une construction collective des générations sur un même noyau central.

Il n'y a pas de papier içi, d'écriture outillée d'un alphabet, mais le terrain sans limite du vocabulaire de la peinture. Il était dessiné sur le sable hier. Il est couché sur la toile aujourd'hui, et partagé avec les plus jeunes, selon le rythme ludique et unique de la tradition orale et du développement pictural des motifs.

Kenny Williams, artiste de la deuxième génération de Papunya Tula, fut un des derniers nomades avant d'être sédentarisé à l'âge de 13 ans avec ses parents. Il est ainsi l'héritier de ces intellectuels du désert ayant érigé au rang d'art leurs mythes les plus sacrés.
En 2000 Kenny Williams reçoit le prix du "Telstra National Aboriginal and Torres Strait Islander Art". Il participe également à l'exposition "Papunya Tula: Genesis and Genius" qui s'était tenue à la Sydney’s Art Gallery of New South Wales la même année.

© Kenny Williams Tjampitjinpa, 2004. With the courtesy of Papunya Tula Aboriginal Art

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pas besoin de "culture" pour savoir "lire" ces tableaux, magnifiques traces et signatures...

Bertrand a dit…

J'observe que beaucoup de personnes restent un peu décontenancés par ces représentations.

Peut-être la sensibilisation à l'art moderne, aux arts abstraits, permet-elle de mieux appréhender l'art aborigène ?
Pour ma part, c'est plus la dimension "vecteur de sens", d'une spiritualité graphique de cet art, qui m'a permis d'ouvrir la porte...